Inv.
SAH/ss-15142
La Blague de Vanderdeken
Objets acquis par le Collectionneur
en 1902 suite aux échos d'une légende.
Origine : Capetown (South Africa) en 1900; matériaux divers
Description :
Boîte de thé en fer blanc contenant une blague à
tabac à moitié vide, une pièce de huit, deux
pions de jeu d'échecs, une bible de poche d'un soldat anglais
de la guerre des Boers.
Dossier : Légende, Témoignage et Expérimentation
du Conteur :
Le capitaine Vanderdeken refusa une fois de plus de laisser son
équipage épuisé descendre à terre. Le
manque de vent faisait traîner le vaisseau sur l'océan,
à la vitesse d'un escargot asthmatique.
Parti de Londres depuis plusieurs mois, les marins du "Hollandais
Volant" ne s'attendaient plus à atteindre l'Australie
avant la fin de l'année 1666. A l'époque, le Canal
de Suez n'avait pas encore été percé, et le
voyage vers les Terres Australes ressemblait à l'éternité.
Le Cap de Bonne Espérance aurait pourtant dû être
franchi avant la période des tempêtes.
Ils avaient longé les côtes de l'Europe, passé
le détroit de Gibraltar, et continué le long du continent
africain à une allure insupportablement lente. La nourriture
avariée et l'eau croupie empoisonnaient l'équipage
puis le scorbut avait fait son apparition à bord. Et malgré
les supplications des marins, le capitaine, un protestant borné,
dur et intransigeant, refusait de faire relâche dans un port.
Il fallait coûte que coûte rattraper le temps perdu.
Le profit à n'importe quel prix était sa raison d'être.
Arrivés à hauteur de la ville du Cap, Vanderdeken
finalement à bout de nerfs, céda à une crise
de rage. Il maudit le ciel et l'enfer; et dans un accès de
démence défia Dieu et le diable pour un peu de vent.
Aussitôt, un léger souffle de vent venu de nulle part
répondit à son imprécation, puis une brise
se leva; et le " Hollandais Volant " se mis à glisser
sur les flots en prenant de la vitesse. On approchait du Cap de
Bonne Espérance. Là où les océans atlantique
et indien mêlent leurs eaux.
Le vent forcit, et bientôt la tempête éclata.
Le plus terrible des ouragans que la pointe de l'Afrique ait connu
de mémoire humaine. Le ciel était noir d'encre, et
l'enfer se déchaîna. Des vagues monstrueuses déferlaient
sur le pont du bateau emportant marins et marchandises. Les hommes
hurlaient, ils allaient démâter.
C'est alors qu'un spectre gigantesque apparu, qui somma Vanderdeken
de se repentir. Le capitaine pointa son pistolet sur l'apparition
et fit feu. L'arme lui explosa entre les mains.
Depuis lors le " Hollandais Volant " erre de mers en
océans, et particulièrement aux alentours du Cap de
Bonne Espérance. A son bord, seul et attaché au gouvernail,
le maudit dirige son vaisseau fantôme. Rares sont ceux qui
ont survécu à une rencontre avec lui.
Des légendes chuchotées dans les bars de Capetown
par des noirs superstitieux racontent qu'on y croise parfois le
vieux marin, quand le temps est à l'orage et le pays en conflit.
Le Maudit vient s'approvisionner en rhum, genièvre, pipes
et tabac fort d'Afrique et, obsédé par une errance
solitaire, tente de compléter son équipage. Il paye
toujours ses achats d'une ancienne pièce de huit en argent
provenant, dit-on, du trésor d'un galion coulé.
S'il vous propose une partie d'échecs, prenez garde, c'est
un redoutable joueur. Gagnez, et vous deviendrez riche et célèbre.
Il est dit que seul un certain Richard Wagner l'aurait battu dans
la première moitié du XIXé siècle.
Si vous perdez, vous l'accompagnerez dans son errance jusqu'à
la fin des temps...
Le capitaine joue toujours avec les noirs.
La blague à tabac et la pipe en terre que vous voyez ici
furent trouvés à Capetown en 1900. Après qu'un
soldat anglais en permission dans les bouges de la ville eut perdu
une partie contre le maudit, et disparut le soir même. Le
sachet contient outre du tabac, deux pions d'échecs en ivoire
d'âge vénérable, l'un blanc et l'autre teinté,
une pipe en terre et une pièce de huit provenant d'un galion
coulé.
Je ne vous propose pas une partie d'échecs, mais si, sans
regarder à l'intérieur de la bourse vous en retirez
le pion blanc, vous gagnerez la pièce, la blague à
tabac, et tous les objets du conte. Et vous deviendrez le nouveau
Conteur, car c'est de cette manière que se transmet l'histoire.
En plus, j'offre une tournée de bonne ale brune.
Par contre si vous perdez, vous payez les consommations et resterez
à attendre que Vanderdeken vienne vous chercher.
Mon adversaire retira le pion noir
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Inv.
SAH/so-15143
La jarre aux Rêves
Témoignage du Collectionneur
A la mémoire d'Eric
Il était une fois ...
Un adolescent qui rêvait de magie dans un monde de cauchemars.
Un jeune magicien qui rêvait de couleurs dans un monde gris
et terne.
Un collectionneur de l'étrange qui rêvait de sauver
les songes et les mythes de l'humanité avant que la bêtise
humaine ne les anéantisse à jamais.
Le Premier adulte à croire à ses rêves fut son
ami Eric. De dix ans son aîné, il le poussa à
continuer sa quête, à ne pas accepter la morne illusion
de cet univers de cauchemar plastique, à échapper
au piège de la société de consommation dans
lequel lui-même était tombé. Son travail épuisant
de cambiste détruisit pourtant sa santé et il tomba
gravement malade.
D'une de ces maladies dont on ne guérit pas.
Vers la fin, ne sachant plus que faire, le magicien décida
de lui offrir un de ces rêves.
Je garde dans un ancien vase de terre cuite, une petite collection
de pièces anciennes liées à des lieux et des
événements fantastiques. Pièces de l'ancienne
Chine évoquant les 55 jours de Pékin, monnaies Grecques
rappelant les dieux de l'Olympe, jetons de Casino, rêves de
palaces, méreaux moyenâgeux, pièces de huit
provenant de galions coulés ... A chacune de ces pièces,
un rêve était lié.
Il choisit la pièce de huit et la plaça dans un petit
coffre à côté de lui sur sa tablette d'hôpital.
Je replaçai le reste des monnaies dans le vase aux rêves.
En quittant Eric ce jour là, je savais que je le voyais pour
la dernière fois dans ce monde-ci.
Trois nuits plus tard, j'eus un rêve étrange. Un enfant
de 10 ans m'apparut. Je devinais qu'il s'agissait d'Eric, ou du
moins de son double, son âme, rayonnant d'une lumière
surnaturelle. Souriant, il m'invita à le suivre. Nous avançâmes
au travers d'un paysage de désert lunaire, dans un silence
absolu. Il se mit à parler de mon cadeau. Il avait vécu
des aventures de pirates et flibustiers, vogué en compagnie
de Surcouf, visité l'île au trésor, affronté
Barbe Noire... Notre promenade s'arrêta en face d'un fleuve
sur la rive duquel attendait un passeur.
"Avant de franchir l'Achéron", dit-il, "je
veux te rendre ton rêve car nul n'a le droit de s'emparer
du rêve d'un autre. Merci encore pour ton cadeau unique. Sache
que je t'accompagnerai toujours, où que tu ailles, jusqu'au
moment où tu me rejoindras de l'autre côté du
fleuve." Eric me lança la pièce de huit qui retourna
dans le vase aux rêves. "L'eau de l'Achéron ne
sera jamais un obstacle entre nous !" furent ces dernières
paroles.
Quand je me réveillai le lendemain, la pièce manquante
avait rejoint les autres. Mais ce que je ne comprends pas, c'est
d'où vient cette eau morte qui remplit régulièrement
le vase ?
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Inv.
SCP/jr-35941
Le "Mauvais Lieu"
En hommage à Jean Ray et amicalement dédicacé
à André Verbrugghen
Pièce acquise à Bruxelles en 2000
Origine : Napoli (Italie) 1906, Gand (Belgique)
Description
Curieux coffret doré surmonté d'un renard et contenant
diverses amulettes romaines, photos anciennes dont la description
plus détaillée est faite dans l'histoire.
Dossier: Histoire par un Conteur, grand amateur de Jean
Ray
Pour ma première visite dans cette boutique spécialisée
en livres anciens de la chaussée de Charleroi, quelle ne
fut pas ma surprise de reconnaître le propriétaire.
Nous nous croisions fréquemment dans diverses brocantes en
espérant exhumer l'improbable manuscrit, la pièce
rare qui réjouit nos appétits tourmentés de
collectionneurs. Ce jour là, je chinais à la recherche
d'éditions rares d'ouvrages de Jean Ray, mon auteur favori.
Et découvrir que cette connaissance était libraire
plaçait ma recherche sous d'heureux auspices.
" J'ai quelques pièces intéressantes dans la
vitrine centrale du magasin. " Me dit-il. " Récupérées
chez un collectionneur célèbre qui revend une partie
de sa collection. Une seconde édition du " roman de
la mer ", une édition Averbode de Geheimen van het Noorden,
quelques Presto-films, une première édition du livre
des fantômes et une de Malpertuis, ainsi qu'un exemplaire
de la revue " Audace " dédicacée par le
maître gantois. Un collector, tu en conviendras. Et puis,
si cela t'intéresse, il y a également cette curieuse
boîte remplie d'étranges petites bricoles qui ont l'air
vraiment anciennes. Le précédent propriétaire
de l'objet m'a affirmé quelle avait appartenu en son temps
à Jean Ray lui-même. Bien entendu, c'est difficile
à prouver. Mais si tu prends l'ensemble, je te ferai un bon
prix."
(A la lecture de certaines dédicaces, je devinais aisément
l'identité du collectionneur en question, un écrivain
octogénaire ayant réussi dans le roman d'aventures
pour jeunes. Il semblait vouloir se débarrasser du fardeau
d'une ombre inquiétante. )
La boîte était en métal doré agrémentée
de losanges en fausse nacre du plus pur style 1870, sorte de petit
coffret à bijoux bon marché, surmonté d'un
renard qui semblait se cacher dans des ronces. Quatre mamelouks
montaient la garde aux coins de la boîte. Le coffret ne fermait
plus à clé et contenait diverses " babioles "
: une paire de lunettes d'aveugle de petite taille, un tube de verre
contenant des échantillons de cendres de lave étiquetée
" Vésuve : Avril 1906 ", la photo d'un personnage
de type méditerranéen à la jambe de bois, une
petite main en métal peint couleur chair, une pièce
d'alchimiste du XVIIéme siècle, diverses petites amulettes
romaines représentant des dieux déchus (j'y ai reconnu
Vénus, un aigle, une chouette, une sorte de géant
barbu, et une gorgone) , un flacon d'encre dorée séchée,
un ange de sapin, trois aiguilles datant de l'époque d'Hannibal,
un chapelet et quelques autres petits machins qui me semblèrent
sans intérêt...
Pas de quoi fouetter un chat !
Une carte de visite datant des années 20-30 mentionnait une
madame Bergmans, Docteur en Histoire de l'Art et Archéologie,
Professeur à l'Athénée de Jeunes Filles, et
une adresse à Gand.
Il y avait aussi deux morceaux de doigts provenant vraisemblablement
d'une statue brisée.
Rien de bien exaltant, mais l'objet m'intriguait. Pour la forme,
nous discutâmes le prix et je retournais chez moi, plus riche
de quelques pièces et bien décidé à
explorer ce mystère.
Depuis, j'ai beaucoup enquêté, retrouvé le
collectionneur, rencontré les descendants de certains des
protagonistes, comparé de vagues témoignages avec
des faits historiques, interrogé des spécialistes
de Jean Ray ; et la vérité me semble incroyable.
J'ai l'habitude d'affronter l'étrange et les situations fantastiques,
c'est mon métier. Mais ici, l'Histoire prend une tournure
inquiétante. Et puis, parfois l'aventure vous surprend au
pas de la porte.
Tout commence à Naples en avril 1906...
Cela faisait quelques jours que l'activité du Vésuve
menaçait la ville, et la colonne de fumée noire qui
commençait à jaillir du cratère était
très visible depuis Naples. Une tension certaine écrasait
les napolitains pourtant habitués aux colères du volcan.
Fernand W., jeune ingénieur et " vulcanologue "
gantois, n'avait eu aucun mal à trouver une chambre à
un bon prix à l'hôtel du Vésuve ; la plupart
des touristes désertaient la ville ; et seuls restaient les
inconscients avides de sensations fortes et les amateurs de volcans
en éruption. Lui-même, né l'année de
l'éruption du Krakatau à l'est de Java, consacrait
son temps à les étudier au service d'une célèbre
université belge.
Si se loger ne posait aucun problème, par contre trouver
un guide et un fiacre pour l'emmener au pied du Vésuve, relevait
de l'exploit. Mais un confrère de l'université de
Naples, Paolo P., avait accepté de jouer le rôle, et
à l'aide d'un bon pourboire et d'interminables palabres,
il put louer un véhicule à l'agence Thomas Cook and
Son locale.
Les animaux sentent arriver les catastrophes, et le cheval de location
montrait plus que des signes d'inquiétude.
La terre trembla et les cendres commencèrent à tomber.
Il était hors de question de se rendre sur les pentes du
mont Somma ; il devenait même urgent de s'abriter.
Ils se trouvaient aux abord de l'église San Gennaro, non
loin des catacombes de Naples.
C'est alors que Fernand entendit les pleurs. La voix d'une petite
fille qui appelait " Padre, padre ! " en sanglotant semblait
sortir d'une maison dont une partie de la façade venait de
s'écrouler. Les scientifiques se précipitèrent
à l'intérieur, se protégeant des chutes de
débris et se dirigèrent vers la cave. Assise sur les
premières marches de l'escalier, une gamine d'environ 9 ans,
recouverte de poussière et maigre comme un clou, criait en
direction du sous-sol. Paolo souleva la fillette pendant que le
gantois plongeait dans le trou sombre.
Là, un spectacle incroyable le surprit. Dans une cave extrêmement
vaste, attenante aux catacombes, plusieurs statues de pierres se
tenaient figée ; elles rappelaient étrangement les
moulages des corps de Pompeï . L'une d'entre elles s'était
écroulée sur un vieil homme, un curé, lui brisant
la nuque. Pour lui, il n'y avait plus rien à faire.
Il eut tout à coup l'impression désagréable
d'être observé et se retourna. Dans la partie la plus
obscure des catacombes, deux flammes vertes glaçantes brillaient
d'un éclat maléfique. Son sang se figea, et l'espace
d'un court instant il fut pétrifié de terreur. Une
douleur terrible lui broya le cur. Puis, aussi vite qu'il
était apparu, le regard étincelant s'évanouit
dans les ténèbres et Fernand sortit de sa torpeur...
Il sortit de la maison en courant et rejoignit Paolo qui réconfortait
la gamine. C'est à ce moment qu'il se rendit compte qu'elle
était aveugle. Dans ses poings fermés, elle serrait
des petits objets curieux. (Ceux qui se trouvent maintenant dans
la boîte.)
Elle s'appelait Delphina.
Dans la confusion qui régnait en ville, ils amenèrent
la fillette à l'hôtel où une nurse lui donna
un bain, alla lui chercher des vêtement propres et lui fit
servir un copieux repas.
Ils l'interrogèrent pour savoir si elle avait des parents,
des gens à contacter ; mais elle était orpheline et
le padre qui l'avait adopté cinq ans plus tôt représentait
sa seule famille. Elle faisait le ménage et passait du temps
dans la cave à " communiquer " sans parler avec
la Voix Qui Glace. Celle-ci avait prophétisé que la
pluie de cendres, sa " colère " comme elle l'appelait,
durerait 10 jours et coûterait deux mille âmes humaines.
Quand on lui demanda ce qui se trouvait dans la cave, à quoi
correspondait cette voix ; elle ne sut trop que répondre.
Paolo joua les interprètes.
" Tout ce qu'elle sait, " Dit-il. " C'est que la
voix s'y trouve depuis très très longtemps. "
" Le padre Emilio Volpi, et d'autres avant lui, furent à
son service pendant des centaines d'années. Et ses colères
font trembler la terre. Le padre m'a expliqué qu'elle avait
été capturée dans un pays lointain, et ramenée
captive à l'époque du Christ. Sa plus épouvantable
colère avait eu lieu en l'an 79 de notre ère et avait
anéanti Herculanum et Pompeï, car le volcan lui obéissait.
Pétrifiant littéralement leurs habitants. "
" Seules des jeunes filles aveugles peuvent la servir, l'apaiser
et l'interroger, car les hommes qui la voient meurent figés.
Elle ne parle pas avec des mots, mais dans notre tête apparaissent
des couleurs. Enfin je crois que les gens qui voient nomment cela
" couleurs ". Ensuite le padre m'interroge et je raconte
les images. Un monsignore utilisait parfois ses services pour se
débarrasser d'importuns...
Le padre appelait la créature Euryalé.. Je ne pense
pas qu'elle puisse nous en dire plus."
Après cela, la petite fille s'endormit.
La pluie de cendres dura dix jours et la colère du volcan
fit près de deux mille victimes.
Quand le vulcanologue retourna à la maison effondrée,
quelqu'un avait fait le " ménage ". Dans la cave,
il ne restait rien : ni corps, ni statue. Et un éboulement
remplissait la plus grande partie de l'espace. Il ramassa cependant
dans les débris deux morceaux de statue, des bouts de doigts,
ainsi qu'une paire de lunettes noires d'aveugle.
Quelques années plus tard, une certaine Simone Bergmans,
amie de Fernand, raconta cette histoire à un vieux bootlegger
passionné de récits étranges ; et lui confia
un coffret contenant les preuves authentifiant le récit.
Lui a-t-elle monté un canular, je n'en sais rien. Je ne vois
pas comment elle aurait pu retrouver un tube contenant les échantillons
de cendres tombées sur Naples pendant les jours de l'éruption.
Je n'ai aucune idée de ce qu'est devenue Delphina, ni la
créature des catacombes. Tout ce que je peux affirmer, c'est
que j'ai examiné les doigts de pierre, ils portent des empreintes
digitales...
Et en présence d'une image de gorgone, l'un des deux se met
à trembler !
La boîte trône au centre de la modeste collection consacrée
à mon auteur préféré.
Au plus je la contemple, au plus j'y retrouve les reliques de dieux
déchus et oubliés : les aiguilles des fileuses, la
main tranchée d'un marmouset, la photo d'un dieu boiteux
(Vulcain ?) , l'aigle de Zeus, un Titan oublié, le chapelet
en bois de Bets, une Vénus décrépie, la chouette
d'Héra, la gorgone, une pièce d'alchimiste et un flacon
d'encre dorée. S'agit-il de l'oncle Cassave qui désirait
tellement croiser l'homme et les dieux, ou l'un des trésors
de la maison hantée ? Quel effet aurait le regard de la gorgone
sur de l'encre dorée ? Avec un peu d'imagination un vieux
crucifix rouillé finit par évoquer Prométhée
blessé au flan ; la blessure de la Lance et celle de l'Aigle
Divin. Et la boîte elle-même, n'est-elle pas la maison
du Renard, Malpertuis, le mauvais lieu...
Cette nuit j'ai rêvé du vieux pirate ; assis parmi
les dieux, il s'enivrait d'un vieux rhum qui fait oublier l'ambroisie.
Sa pipe bourrée de bon tabac fort de Hollande à la
main, il leur contait des histoires d'hommes.
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Kami-kaze
INV. SCP/KK-73700
Le tintement aigrelet de la clochette arrêta instantanément
le brouhaha dans la pièce, et ramena l'attention vers le
Conteur.
" Cette cage dorée fut rapportée d'Asie, il y
a plus d'un siècle.
L'ami qui me l'offrit affirme qu'elle contient un Kami-kaze, un
dieu du vent.
Invisible et silencieux, mais ô combien redoutable."
Le Conteur fit tinter la clochette.
"Vers la fin du 13è. siècle de notre ère,
les mongols dirigés par Kublai Khan occupaient un gigantesque
empire allant de l'actuelle Hongrie aux confins de la Chine et de
la Corée. Trouvant malgré cela leurs frontières
un peu trop étroites, ils s'apprêtèrent à
prendre la mer pour envahir la riche ile de Zippangu, autre nom
du Japon."
Le Conteur fit tinter la clochette.
"Rien ni personne auparavant n'avait pu arrêter les hordes
barbares, même pas la grande muraille. Le Japon ne pouvait
s'opposer à la puissance de la dynastie mongole. Le pays
allait être anéanti. Et les envahisseurs ne connaissaient
aucune pitié."
Le Conteur fit tinter la clochette.
"Et la flotte mongole, gigantesque armada prit la mer, en direction
de Kyushu.
Les prophéties du moine bouddiste Nichiren allaient-elles
s'accomplir?
Le Conteur fit tinter la clochette.
Partout sur l'île nippone le son des gongs avertissait la
population de l'imminence du danger. Sous le commandement du régent
Hôjô Tokimune, les défenses du pays se préparaient.
Le combat serait sans merci. Cette automne 1281 annonçait
un tournant décisif de l'histoire japonaise."
Le Conteur fit tinter la clochette.
"C'est alors, qu'un des prêtres shintoïstes de la
ville d'Ise alla chercher dans une discrète alcove de son
temple, une petite cage finement ciselée et une clochette.
Il pria le dieu du vent, le kamikaze, de quitter sa demeure et de
protéger le pays de la menace imminente."
Le magicien fit tinter la clochette pour prier le kami d'agir, et
me fit signe d'ouvrir la cage.
Aussitôt, un grand calme se fit. Il n'y eut plus un chant
d'oiseau, plus un bruissement d'arbre, même les cloches et
les gongs se turent comme si tous les vents venaient de quitter
le Japon à l'appel du magicien."
Le Conteur secoua la clochette mais aucun son n'en sortit.
"Et ce jour-là, le plus effroyable des typhons s'abattit
en mer de Chine anéantissant en quelques heures toute la
flotte mongole, épargnant la destruction de l'empire du soleil
levant.
La légende du Kami-kaze, le vent divin venait d'y naitre.
Mais, il ne sauverait pas toujours l'empire du soleil levant..."
Le Conteur referma la cage, et la clochette se remit à tinter.
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Inv.CF/TV-00001
Complot à la Taverne
de Vilokan
Le Conte Fondateur du Surnatéum
Il y a bien longtemps, dans un endroit oublié des hommes
aux confins du monde connu, sept complices tenaient palabres à
la « Taverne de Vilokan ». Un nom bien trop glorieux
pour cette guinguette poussiéreuse du village de Guinen,
où l’on servait cependant les plus corsés et
les plus parfumés des rhums cubains, antillais et haïtiens.
Dans la salle, on apercevait les ombres des frères jumeaux
Marassa, de Damb’ le charmeur de serpents et de quelques clients
étrangers qui ne perdaient pas un mot du conciliabule à
la table centrale. Le vieux Papa Legba, le proprio du bouge régalait
ses amis d’un fort kleren et dans la pénombre, les
histoires fusaient. Histoires d’orishas incontrôlables
et d’humains avides, contes vaudous, chansons grivoises…
Autour de la table, on reconnaissait les traits pâles du Bawon,
le vieux gardien de cimetière qui fumait des cigares dont
l’odeur aurait pu réveiller un mort et buvait son alcool
avec une poignée de piments. Ca lui donnait du corps, disait-il.
A côté de lui, la jeune et jolie mulâtresse répondant
au nom chantant d’Ezili ajoutait une note de charme à
la compagnie. Ses traits de Madone des Tropiques cachait un cœur
d’artichaut toujours prêt à s’enflammer
pour le premier venu et ses conquêtes amoureuses ne se comptaient
plus. Ogou le ferrailleur et Shango le flic local devisaient avec
leur fougue coutumière, sous l’œil blasé
de Maman Yemoya. Celle-ci mâchonnait distraitement quelques
tranches de cochon grillé aux aromates. Le dernier arrivé,
Cousin Zaka, avait posé son macoute et son chapeau de paille
sur un tabouret vide, et se désaltérait d’un
jus d’ananas fraîchement pressé. Le chemin qui
l’amenait à la Taverne avait été trop
long et trop chaud pour ses vieilles jambes.
Papa Legba posa sur la table un vieux plateau de bois grossièrement
ciselé et un petit bâton. Souvenirs d’une vie
antérieure en Afrique noire. Il pris le morceau de bois,
l’iroke, et frappa rythmiquement le plateau en marmonnant
quelques incantations dont il avait le secret, et l’assemblée
fit silence.
« Ifa a ouvert ses yeux » dit-il en posant le plateau.
Il recouvrit ce dernier d’une poudre crayeuse, manipula quelques
coquillages qu’il avait tirés de sa poche, et traça
de ses doigts agiles une série de lignes simples et doubles
sur le plateau. « Les odus ont parlé ! Dans les temps
qui viennent, les gens nous oublieront et nous condamneront à
disparaître si nous n’agissons pas. Plus de rhum pour
nous, plus de parfum pour Ezili et Yemoya, plus de cigarettes, plus
de sacrifices et plus de réunions comme ce soir. Des choses
simples ; mais qui nous tiennent à cœur. La menace vient
de civilisations sans dieux, sans Foi ni Loas, ni considération
pour l’autre qui détourneront les hommes des vraies
valeurs. Des civilisations qui ne respectent même plus les
ancêtres. Les anciens sont placés dans des mouroirs
pour que les jeunes n’aient pas à contempler les ravages
de l’âge. Pauvres fous !
Mais nous pouvons encore agir. Introduisons le ver dans le fruit,
en leur redonnant la magie qu’ils ont presque réussi
à éliminer. Je propose que nous initions un de leurs
semblables à nos pratiques et que nous en fassions un Gardien
des Traditions. Donnons-lui chacun un instrument dont il pourra
se servir pour créer un Sanctuaire, un foyer de résistance.
Pour que les Magies qui hantent ce monde ne meurent pas. Qu’avez-vous
à offrir ? »
« Moi, je lui ferai parvenir mon chapeau ! » commença
le Bawon. « Il pourra commander aux âmes errantes, et
les créatures de la nuit seront ses alliés. Et je
lui donnerai accès à toutes les Magies dont il aura
besoin pour son travail. Qu’il en soit ainsi ! »
« Je lui offrirai une compagne qui le soutiendra fidèlement,
car rien n’est pire que combattre seul. » ajouta Ezili.
« Quand le temps sera venu, je lui enseignerai la séduction
des Charmes et le sortilège des Enchantements. »
« Shango lui donne le pouvoir de la Foudre, une Magie de
l’éclair ; une Magie si subtile qu’elle perturbera
la réalité illusoire des ses semblables. Et mon ami
Ogou le formera comme guerrier, car il aura beaucoup d’ennemis.
Qui plus est, il aura grâce à notre ami, la possibilité
de créer de nouveaux objets magiques et celui de réveiller
les anciens instruments en sommeil. »
Cousin Zaka avait l’air perplexe ! « Vous savez que
je ne suis qu’un modeste fermier, mais de ma part il recevra
une certaine affabilité qui tempèrera vos actions
guerrières. Il sèmera un savoir qui sera repris par
d’autres. Et puis, c’est moi qui ai fait pousser l’arbre
dans lequel fut taillé cet opon. Je suggère que l’objet
lui soit remis pour que nous puissions l’inviter à
notre Taverne, quand bon lui semblera. »
« N’oublions pas les enfants. » interrompit Maman
Yemoya. Elle posa sa Camel sans filtre dans un morceau de noix de
coco. « Ils sont le devenir de toute civilisation. Je lui
offrirai la clé qui lui ouvre leur porte. Et toi, Papa Legba,
espèce de vieux malicieux, que vas-tu donner ? »
« Avant toute chose, ma protection et vos cadeaux. Ensuite
une forme d’espièglerie qui l’empêchera
de se prendre trop au sérieux, car la tâche est ardue.
Et comme l’a suggéré Zaka, ce plateau nous permettra
de dialoguer face à face… Je lui donnerai la possibilité
de confronter le chaos et d’en revenir indemne, armé
de la plus puissante des Magies... »
A ce moment, le gros Ganesh, l’écrivain public pakistanais
qui traînait au fond de la Taverne, ajouta : « Je pense
qu’il aura besoin du talent des conteurs pour animer les reliques,
car seule la musique de la voix donne pouvoir sur les objets inanimés.
Je libérerai donc sa parole, ce sera une petite contribution
étrangère mais personnelle à votre complot.
» Et d’autres Ombres qui n’avaient pas raté
une miette de la conversation, ajoutèrent amulettes, anneaux
magiques, talismans et une infinité de petites choses dont
l’utilité immédiate n’était pas
toujours apparente.
« Vous voulez en faire un Collectionneur ? » conclua
Papa Legba en regardant l’amoncellement d’objets. «
N’oubliez pas que c’est moi qui devrai tout transporter…
»
Le Collectionneur me fit entrer dans la chambre secrète
du Musée. Seuls lui et moi avions accès à cette
pièce réservée, mais je n’en avais pas
encore percé tous les mystères.
« Il est temps pour vous d’accéder à la
relique la plus précieuse de la Collection. » me dit-il
sur un ton que je ne lui connaissais pas. A la fois léger
et plus sérieux que d’habitude, il me rappelait l’expression
qu’avait prise le vieux Lampernisse lorsqu’il m’avait
remis la Boîte de Magies. Cela faisait quelques années
maintenant, et le moment semblait venu de franchir une étape
dans l’aventure du Surnatéum.
Il fit coulisser un panneau de bois qui protégeait une cache
dérobée, et retira avec précaution un objet
enveloppé dans un morceau de linge blanc. Le tissu retiré,
je pus admirer un très ancien opon, un plateau divinatoire
Yorouba de forme arrondie. Ce n’était pas le seul objet
de ce genre que possédait le Musée, mais je devinais
que l’histoire qui accompagnait celui-ci devait être
très particulière.
« Voici le Plateau des Sept Pouvoirs. Vous reconnaissez naturellement
ce genre d’objet mais, c’est grâce à lui
que vous vous trouvez aujourd’hui au Surnatéum. Il
se transmet d’un Collectionneur à l’autre quand
le moment est venu.. »
Son éternel sourire énigmatique avait repris possession
de son visage.
« Mais commençons par le commencement ! Il y a bien
longtemps, dans un endroit oublié des hommes au confins du
monde connu… »
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