Inv.
SCP/bm-59136
La Boite de Magies
Pièce acquise par le Conservateur
en 1975.
Description :
La baguette magique fut celle de Buatier de Kolta, les foulards
de Tony Slydini, les perles d'ivoire furent manipulées par
Dai Vernon, les jeux de cartes offerts par Ricky Jay et Michael
Skinner, les gobelets sont les modèles originaux de Paul
Fox, les petits accessoires furent fabriqués par Eddy Taytelbaum,
etc. La forme actuelle que prend la boîte semble dater des
années '50 ou '60.
Dossier : Témoignage du Conservateur
Je me souviens de l'été 1975, il faisait particulièrement
chaud et sec !
Depuis quelque temps déjà, je m'intéressais
à l'illusionnisme, passion partagée avec un véritable
amour du fantastique et de l'insolite. Et l'année me voyait
quitter l'école pour entrer à l'université.
Trois mois de vacances à pouvoir flâner où bon
me semblait...
Un ami connaissant mon goût pour les choses étranges
m'avait signalé ce petit magasin bizarre situé dans
le haut de la rue d'Arenberg. Un peu au-delà des Galeries
du Roi et de la Reine. La rue qui fait face à l'église
Sainte Gudule.
" J'espère qu'il sera ouvert car il me semble abandonné
depuis longtemps ; les quelques objets exposés ont l'air
d'y être de toute éternité et je n'en ai même
jamais franchi le seuil. " Ajouta mon camarade.
Bien entendu, piqué par la curiosité, je m'y rendis
avec un petit pécule longuement économisé sur
mon maigre argent de poche.
Chez Lampernisse
Hantiquités, Curiosités, Objets de Collection
|
La vitrine exhibait d'anciens jeux de cartes espagnoles très
colorées sous forme de planches complètes, des livres
poussiéreux traitant de sujets aussi divers que l'astrologie
ou la fabrication des parfums et des confitures, l'un ou l'autre
masque africain rongé par les biloulous, une vieille gravure
encadrée du parc royal et d'autres objets difficiles à
identifier.
Il était impossible d'apercevoir l'intérieur de la
boutique plongée dans les ténèbres
Ouvert à midi !
Il me restait trois quarts d'heure à patienter et je décidai
de me promener sur la Grand Place de Bruxelles toute proche ; je
sentais la nervosité me gagner. Et puis, ce mot Hantiquités
me turlupinait, son orthographe était pour le moins discutable.
A midi pile, je me trouvais à nouveau face à la porte
close.
J'avais déjà commencé à cuire au soleil,
mitonné dans le jus de mon impatience.
A midi trente, un bruit de clé dans la serrure se fit entendre
suivi d'une bouffée d'air frais ; et un vieil homme en tablier
gris de libraire apparut. Il me sourit, et recula pour me laisser
franchir le pas de la porte.
" Entrez, et laissez un peu de la joie que vous y amenez !
" Me dit le bonhomme, paraphrasant Dracula. Il était
accompagné d'un vieux chien aveugle qui semblait se déplacer
sans difficulté dans le bric-à-brac incommensurable
que renfermait l'échoppe. Cerbère visionnaire que
ses propres ténèbres ne dérangeaient plus.
" Ne faites pas attention à dipe, il ne mord pas.
Qu'est-ce que le vieux Lampernisse peut faire pour vous aider mon
garçon ?
Voulez-vous acquérir une véritable tête réduite
Jivaro prise sur les épaules d'un explorateur imprudent,
des fétiches amérindiens, un plan authentique des
sept cités de Cibola tatoué sur la peau d'un jésuite
espagnol ou cette pipe d'écume au visage méphistophélique
?
A moins que vous ne recherchiez l'exemplaire original du traité
des Esprits de Dom Augustin Calmet ou le calendrier magique de Croze
et Orazi ? "
" J'aimerais juste jeter un coup d'il, si cela ne vous
dérange pas. "
Il me pria de faire comme chez moi.
A peine éclairé par un plafonnier à trois ampoules
(la quatrième était grillée), le magasin était
tout en longueur et rempli de centaines d'articles hétéroclites
qui dégageaient une odeur de vétusté et d'antiquité.
Entre cire encaustique, poussière et vieux tabac froid de
Hollande mêlée à une fragrance plus subtile
d'encens égyptien...
On aurait pu se croire dans l'antre d'un Michel de Ghelderode, Jean
Ray, James Ensor ou Félicien Rops. A moins que ce ne fût
l'échoppe ténébreuse d'un bazaar arabe, "
the Old Curiosity Shop " de Dickens ou le magasin de magie
de H. G. Wells !
Par endroits, la moquette usée jusqu'à la corde laissait
apercevoir une mosaïque de carrelages noirs et blancs ; à
gauche du comptoir, une ancienne caisse enregistreuse tenait compagnie
à des livres de loi datant de 1717. Sur un vieux cube de
bois trônait une Bible illustrée par Gustave Doré,
à côté d'une canne de compagnon qui avait vu
passer deux guerres au moins.
Je ne savais où poser les yeux.
Un tel endroit existait, hors du temps et de l'espace ordinaires
!
Une planche anatomique suédoise de chauve-souris y côtoyait
allègrement une tasse à thé divinatoire de
l'époque victorienne, un petit cadran solaire en argent décoré
de signes astrologiques ainsi qu'un tableau représentant
le petit chaperon rouge du peintre talentueux mais méconnu
Vincent Devignez. Sur un très antique plateau divinatoire
Yorouba trônaient une superbe poupée russe représentant
une princesse et une copie bon marché d'un chat égyptien
en plâtre de Paris. Des planches de cartes à jouer
étrangères cachaient à moitié une psyché
en marqueterie de Prague, un masque du capitan en cuir poli par
l'usage et signé du nom de Sartori pointait son nez vers
une vieille valise en cuir bleu, couverte d'étiquettes de
pays et de lieux visités et d'une fine pellicule de poussière.
Je soulevai délicatement le couvercle ; à l'intérieur
reposait une boîte en carton brun sur le sommet de laquelle
on pouvait lire :
MAGIE et autres tours de prestidigitation.
Illusions, Maléfices et tours de passe-passe divers.
Série spéciale
|
Je retirai l'objet de la valise. C'était une très
belle boîte de magicien, d'aspect inhabituel.
Intrigué, je l'ouvris !
Le contenu n'avait aucun rapport avec celui des boîtes de
ce type que l'on trouve au rayon jouets des grands magasins. Pas
de coquetier magique, ni de vase inépuisable en plastique
; aucun clou à travers le doigt, pas de foulard changeant
de couleur.
A la place, de merveilleux objets de bois finement décorés,
deux petits sarcophages égyptiens, une mini cabine spirite,
des dominos chinois, un superbe jeu de gobelets en cuivre, deux
ou trois pièces de monnaie en argent, une baguette magique
en ébène et ivoire avec des incrustations de nacre,
un jeu de cartes Nifty Deck créé par Deland, quelques
billes taillées dans la pointe de défenses d'éléphants
ainsi qu'une vingtaine d'autres articles dont l'usage m'échappait
complètement.
Un authentique parfum de mystère se dégageait de l'ensemble
et, une inscription en japonais sur le couvercle semblait avertir
l'utilisateur éventuel du danger qu'il y a à ouvrir
des portes interdites...
" D'où vient cette superbe boîte ? "
Demandais-je au propriétaire des lieux.
" Ah ça, jeune homme ! C'est le seul objet du magasin
qui n'est pas à vendre. Du moins, pas à n'importe
qui. Un amateur acharné de trucs de prestidigitation, qui
avait entendu parler de cette boîte m'en a offert une véritable
fortune, mais j'ai refusé de la lui céder.
Il y a deux théories sur son origine. La première
veut qu'elle se transmette d'un amoureux de l'art magique au suivant
depuis plusieurs générations. Chaque possesseur y
a ajouté sa " patte ", un de ses tours favoris,
un peu de son âme. Chaque acquéreur du coffret magique
en devient le gardien et doit l'enrichir avant de la transmettre
au suivant. Peu importe qu'il ne la garde que quelques jours ou
toute une vie, il a l'obligation de céder une partie de son
savoir. Toute tentative de se dérober à cette règle
entraînerait des catastrophes inimaginables pour l'irresponsable.
L'amateur ne désirait posséder ce trésor que
pour le cacher dans sa collection, c'est un homme avide et grossier
qui croit que l'argent peut tout acheter et se moque de la véritable
valeur des choses. Et de toute façon, c'est la boîte
elle-même qui décide où elle va aller.
L'autre légende raconte qu'elle serait d'origine française,
assemblée par un mystérieux personnage appelé
le Collectionneur. Personne ne connaît ni son nom, ni son
aspect, ni son âge que l'on dit vénérable. Il
est le Gardien du Surnatéum, une sorte de Muséum d'Histoire
Surnaturelle. Grand Collecteur de fantasmagories, chimères
et coquecigrues, illusionniste autant que magicien, il aurait parcouru
le monde en essayant de réunir les reliques les plus rares
et les plus précieuses que les maîtres l'art des Prestiges
avaient produits, pour composer cette boîte unique. Il lia
une sorte de Pacte avec la baguette magique, un serment qu'il fit
à l'âme du plus grand des illusionnistes français.
Propriété de Robert Houdin, elle fut offerte à
son disciple Hamilton puis passa un temps entre les mains de Buatier
de Kolta pour que la transmission du savoir, qu'elle représente,
ne se perde pas dans un monde de paillettes et d'artifices. Elle
finit par aboutir au Surnatéum, le Sanctuaire des Antiquités
hantées. Répondant au souhait de Robert Houdin, le
Collectionneur aurait convaincu des personnages aussi fameux que
Dai Vernon, Tony Slydini, Michael Skinner, Shigeo Takagi, Eddy Taytelbaum,
Fred Kaps et Tayade, de véritables légendes dans le
monde très fermé des prestidigitateurs, d'offrir une
partie de leur immense savoir et un petit souvenir personnel au
contenu de cette boîte magique. Pour l'enrichir et en faire
un véritable instrument d'initiation. Et, quoique la vérité
trouve son chemin entre les deux théories, je pencherais
plutôt pour cette version.
Contrairement au cirque, au théâtre ou aux arts "
classiques ", la prestidigitation n'est enseigné dans
aucune école. En partie à cause du secret qui entoure
son apprentissage. Elle se transmet de maître à disciple,
encore faut-il des maîtres valables et des disciples attentifs
et consciencieux ! La boîte, à la frontière
entre diverses formes de magies, est un maître impitoyable
et très efficace.
Quoi qu'il en soit, ceux qui, un jour l'ont eu en main, ceux qui
ont étés choisis, sont définitivement envoûtés
et ont activement participé à l'évolution de
leur art. Les autres....
L'explication était trop fantastique pour être fausse,
aussi, doutant mais curieux je lui demandai de passer le test. Le
vieil homme eut un sourire, et retira d'un compartiment une petite
boîte verte ainsi que quelques anneaux de couleur et une minuscule
baguette magique. Il me raconta que cette petite " cabine hantée
" avait été fabriquée à partir
du bois de l'armoire des frères Davenport. De célèbres
spirites qui, au tournant des dix neuvième et vingtième
siècles, avaient voyagé dans le monde entier en démontrant
les activités des esprits frappeurs qui se manifestaient
dans leur cabinet. En France, pays trop cartésien, le public
avait détruit leur cabine en criant à la supercherie
et les avait chassés du pays. Plus tard, le Collectionneur
ayant retrouvé un panneau de leur armoire, avait demandé
à un célèbre créateur de jouets enchantés
du nom de Eddy Taytelbaum de tailler cette petite cabine dans son
bois. Ce magicien d'origine hollandaise était né à
Paramaribo au Surinam vers 1925, et avait côtoyé dans
sa jeunesse, toutes sortes d'étranges personnages, sorciers
et chamans. Son influence sur le matériel contenu dans la
boîte de magie est primordiale. Véritable Gepetto contemporain,
il avait composé l'essentiel des petits chefs d'uvre
que contient la " Boîte de Magies. "
L'antiquaire me demanda de choisir une couleur d'anneau et de la
placer dans le fond du petit cabinet spirite. Il y ajouta deux ou
trois anneaux de couleurs différentes, ferma les portes,
et secoua le tout pour mélanger les anneaux. Il introduisit
ensuite la baguette magique dans un orifice placé sur le
haut de la boîte ; rien ne pouvait s'y accrocher, elle surplombait
les anneaux d'au moins cinq centimètres. Il alla quérir
une petite clochette de laiton, et l'agita délicatement.
Le tintement aigre devait réveiller l'esprit de la boîte.
Quand il ouvrit la cabine, mon anneau y était suspendu, ayant
pénétré par quelque maléfice le bois
de la baguette. C'était impossible !
" La boîte vous aime bien, dirait-on ! "
À ce moment, je fus conquis et m'enquérais anxieusement
de son prix. Cela risquait d'être prohibitif !
Le vendeur me demanda tout l'argent que j'avais sur moi, quelle
que fut la somme.
Je n'avais que mille et un francs ! Une somme ridicule pour une
boîte qui valait mille fois ce prix. Mais je ne pouvais donner
plus. Ce prix avait quelque chose d'initiatique, remettant mes compteurs
à zéro.
Je le payais.
Le vieil homme plaça cette somme dans une enveloppe de papier
brun, la scella et me tendit la boîte.
" Elle est tienne, jeune homme, et ce n'est pas une mince responsabilité
que tu as acceptée là ! Elle t'apportera tous les
bonheurs du monde et toutes les souffrances liées à
celui qui pratique un art. Mais ton existence, à partir de
ce moment, devient unique pour toi et les tiens. Quand tu n'en auras
plus l'usage, transmets-là à ton tour, après
l'avoir enrichie.
Ah oui ! La boîte ne contient aucune instruction, tu devras
chercher et apprendre par toi-même ; aller à la rencontre
de ceux qui ont été liés à elle. "
Il m'offrit également un livre de prestidigitation en anglais
intitulé " Our Magic " de David Devant et
Nevil Maskelyne et un livre de tricheries aux cartes, en ajoutant
que tout ce que je devais commencer à apprendre, se trouvait
entre ces pages. C'était les éditions originales de
ces deux ouvrages.
Je le remerciais et quittais l'échoppe dans un état
euphorique.
Je me rappelle qu'il me fallut deux heures pour traverser la ville
à pied sous un soleil brûlant, car je n'avais plus
de quoi payer un tram ou un bus, mais ce temps me parut passer très
vite.
Quelques semaines plus tard quand je voulus revenir au magasin pour
en savoir plus sur mon achat, l'échoppe avait disparu.
Fermée pour toujours !
Je ne sais ce qu'est devenu le vieil homme avec son chien aveugle,
mais il n'a pas menti; la boîte contient une multitude d'autres
magies...