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Inv.SAH/to-59200
La Princesse Russe
(Un conte de fées, un conte pour Fay)
Pièce acquise par le Collectionneur
le 7 avril 1991
Origine : Bruges Belgique
Description :
Poupée russe (vers 1897), carnet de poésie et divers
souvenirs d'enfants contenus dans une valise Barber verte.
Dossier : Contenu du carnet de poésie
Les jouets capturent parfois les rêves et les espoirs des enfants
qui les ont longtemps chéris. Lorsque nous grandissons, l'âme
de notre jeunesse reste accrochée dans les filets de ces pêcheurs,
ce qui l'empêche de s'évanouir à tout jamais. Les
jouets peuvent devenir les plus puissants des instruments magiques,
car ils contiennent l'émotion à l'état pur, inaltérée
par des années de conventions sociales.
Plus tard, il peut être possible de réveiller ces Entités,
de les réanimer, mais ce n'est pas toujours sans risque...
Laissez-vous emporter par ce conte de fées écrit en juillet
1943.
Le bruit des bottes scandant le pas de l'oie empêchait plus d'un
bruxellois de dormir tranquillement, et les bombardements menaçaient
à nouveau de secouer la capitale occupée.
Marie se décida enfin à déblayer et à réaménager
un coin de la cave pour accueillir d'autres invités, ou servir
de refuge en cas d'attaque aérienne. L'odeur de renfermé
y était si forte qu'elle prenait à la gorge, l'obligeant
à poser un mouchoir parfumé à l'essence de violettes
sur sa bouche. Le nettoyage et l'assainissement du lieu allaient l'occuper
un bon moment.
Un mélange hétéroclite d'objets inutiles dont elle
allait se débarrasser fut sa première cible.
C'est là qu'elle retrouva la valise, partiellement couverte d'une
couche blanche de moisissure grasse qui s'était développée
entre le cuir et la housse en coton. Mais curieusement, ni l'intérieur
de l'objet ni son contenu n'avait souffert.
C'était une belle Barber verte venant de Bradford, un ancien
cadeau de communion dont l'exceptionnelle qualité défiait
le temps.
En l'ouvrant, submergée par les images de son enfance, elle se
sentit transportée au bord des larmes.
Une superbe poupée russe au visage délicat de porcelaine
s'y reposait ainsi qu'un carnet de poésie vierge, un jeu de mignonnettes
inutilisées et une vieille boite à thé remplie
de souvenirs grappillés à gauche ou à droite ou
ramenés lors des nombreux voyages par ses parents.
Un cauchemar qui n'avait cessé de la hanter revint à la
surface.
Marie se souvint de l'époque où elle était petite
fille, et décida de raconter l'histoire de sa jeunesse à
Fay, sa fille.
Elle ouvrit son carnet de poésie, trempa sa plume dans une encre
bleue d'azur et se mit à écrire un conte de fées;
celui d'une vengeance et d'une étrange malédiction dont
elle se sentait toujours responsable...
Un conte de fées, un conte pour Fay doit toujours être
introduit par quatre mots magiques...
Il était une fois...
une petite fille blonde comme les blés, belle comme une nuit
de pleine lune, aux magnifiques yeux gris-bleus; répondant au
joli nom de Marie. Elle était née dans un lointain pays
appelé la Russie, le 12 août de l'année 1904 (encore
que d'après le calendrier russe, il s'agirait du 31 juillet).
Son papa, géologue de nationalité belge, prospectait accompagné
de son épouse dans de nombreux pays étrangers.
Tout cela ne serait somme toute que très banal, si elle n'avait
vu le jour au même moment qu'un petit prince nommé Alexis
Nicolaévitch. Les anges avaient souri deux fois ce jour-la.
Durant leur séjour dans ce pays, les parents de la petite fille
furent invités à la cour de l'empereur, et Marie se lia
naturellement d'amitié avec le petit prince. Comme les enfants
le font parfois, ils se jurèrent de rester ensembles pour toujours.
Lors de leur anniversaire commun de six ans, la petite fille reçut
une magnifique poupée ancienne représentant une princesse
russe, de la part d'Anastasia, une des surs de son ami. Peut-être
qu'un jour, elle aussi deviendrait une princesse...
Mais un voile sombre vient assombrir l'histoire; le petit prince était
gravement malade.
Sa maman, désespérée, l'isola progressivement du
reste du monde pour le protéger. La plus petite blessure pouvait
le tuer, le vider de son sang, et certaines crises provoquaient une
douleur intolérable.
Et comme cela arrive dans les contes de fées, lorsque le petit
prince tombe malade, le pays entre dans une période de grande
désolation.
Aucun médecin ne pouvait guérir Alexis.
C'est alors qu'apparut le magicien.
Moine, visionnaire, illusionniste, conducteur d'âmes, il possédait
le savoir et le pouvoir nécessaires pour calmer le mal et les
souffrances du petit prince. Comme un voleur d'âmes, il fut introduit
au palais.
Marie ne le rencontra qu'une fois, chez madame Vouiborova.
Il empestait l'alcool et l'ail. Il posa sa main sur la poupée,
regarda la petite fille et prononça un seul et unique mot: "Alexis
".
Une impression de terreur venant du plus profond de son être paralysa
Marie
..
Tout remède a, hélas, une face noire, et l'emprise du
moine s'étendit sur la famille impériale.
L'empereur ne fut bientôt plus que l'ombre de lui-même,
et l'impératrice s'éloigna encore davantage de la réalité.
La petite fille ne vit plus son ami. Mais elle communiquait avec sa
poupée qui devint sa seule compagne, son gentil prince ne la
rejoignait que dans ses rêves.
Puis vinrent les troubles. Une guerre éclata en Europe, ainsi
que des manifestations d'hostilité vis-à-vis de l'empereur,
et Marie fut envoyée par ses parents dans une famille d'accueil
en Belgique.
Plus isolée que jamais, elle se renferma sur elle-même
et n'ouvrit plus son cur qu'à sa poupée, sa confidente
intime. Il lui sembla de plus en plus que celle-ci lui répondait.
Elève modèle, elle recevait des bons points à l'école,
qu'elle imaginait être des messages de son prince charmant. Car
ces bons points comportaient des maximes chrétiennes.
La première question qu'elle posa à sa poupée fut:
" Es-tu pris par la violence de la guerre? "
Elle lut la réponse sur le bon point: " Bienheureux ceux
qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre. "
Quelque temps après, le moine fut brutalement assassiné.
Mais il avait prédit que six semaines après sa disparition,
le petit prince recommencerait à souffrir, et que la famille
impériale serait condamnée. Le décompte avait commencé.
Apprenant la nouvelle, elle demanda: " Alexis, comment te sens-tu?
"
" Les souffrances de la terre n'ont point de proportion avec la
gloire du ciel. " Fut la réponse du bout de papier.
Pendant plus d'une année, elle n'interrogea plus sa poupée.
Jusqu'au mardi 16 juillet 1918 où, après avoir fait un
horrible cauchemar, elle posa sa dernière question.
La maxime disait: " La mort viendra comme un voleur, au moment
où l'on y pensera le moins. "
Durant la nuit précédente le Tsar Nicolas II et toute
sa famille furent massacrés par le juif bolchevique Yourovski
et ses hommes dans la maison Ipatief à Ekaterinbourg..
Dans sa colère et sa tristesse, la petite fille souhaita que
tous ceux qui étaient responsables de ce crime horrible furent
punis de la plus épouvantable manière. Et elle traça
à l'envers le signe magique préféré de l'impératrice
Alexandra, symbole de sa vengeance. La dernière marque que la
tsarine avait imprimée sur les murs de sa prison, pour se protéger
du mal. Ce signe était un Svastika, qui allait devenir tristement
célèbre sous le nom de croix gammée.
Le petit prince aurait sa revanche...
Marie, dans Bruxelles occupée, le 12 août 1943
Background du carnet de poésie
Marie est né le 12 août 1904, à Saint Pétersbourg.
En 1943, mariée, elle se trouve en Belgique occupée par
les nazis et décide d'écrire un souvenir d'enfance à
l'intention de sa petite fille, Fay (du nom de sa grand-mère),
qui a 6 ans.
Elle voyage entre la Belgique, la Russie et d'autres pays étrangers
entre 1904 et 1913, en accompagnant ses parents dans leurs déplacements.
En 1913, des menaces de guerre se faisant sentir, ses parents l'envoient
en pension en Belgique, dans une famille liégeoise. Elle y restera
jusqu'en 1924. Ses parents disparaîtront dans la tourmente.
Elle s'enferme dans ses rêves d'enfants et commence à utiliser
sa poupée à des fins magiques.
Le matériel comporte une poupée princesse russe de la
fin du 19è siècle, un carnet de poésie, une boite
à thé russe d'avant la révolution contenant ses
souvenirs (bon points, carnet de bal russe du début du siècle
petit tableau noir de poupée...), en ouvrage de 1934, traitant
de la révolution de 1917.
Le tout repose dans une superbe petite valise verte de jeune fille,
datant du début du siècle.
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