Inv. SOD/ji-61821
L'Immortel

Don du gardien au Surnatéum, enquête effectuée d'après une légende urbaine de Gaétan Bloom
Origine : Eben Ezer à Eben Emael, matériaux divers

 

Description :

Coffret de mariage indien contenant les jeux de l'immortel, un sablier de sable noir et un chapelet de Yamantaka datant du milieu du dix-neuvième siècle dont les 108 perles furent taillées dans des crânes d'hommes saints.

Dossier : Témoignage de m. Alain G. rapporté au Concierge.

Pourquoi sa voiture tomba-t-elle en panne en ce glacial soir de novembre, dans la petite ville d'Eben-Emael, près de la frontière triple de la Belgique, la Hollande et l'Allemagne ? C'était une Audi 100 neuve, tout juste sortie de chez le concessionnaire. Pourquoi fallait-il que ça lui arrive à lui ?
La vie avait été clémente jusque-là pour Alain G. Il était le directeur de marketing bien payé d'une grosse compagnie suisse et avait du succès auprès des femmes.
Malgré tout, il n'était pas heureux. La même question lui revenait sans cesse en tête et lui gâchait l'existence: il voulait absolument connaître la date de sa mort.
Il sortit de son véhicule immobilisé et descendit la rue jusqu'à un petit bistrot. Après quelques bières (nous connaissons tous les effets de la bière belge), il fit part de ses angoisses au tenancier de l'établissement.
"Dans le bois limitrophe, lui dit celui-ci, il y a un drôle de type, une espèce d'ermite, qui vit dans une tour bâtie de ses propres mains. Les gens d'ici en ont un peu peur, mais tous le respectent. Vous devriez essayer de le trouver, il pourrait peut-être résoudre votre problème. Je ne peux pas vous dire exactement où se situe sa tour, mais allez vers le nord et, si tel est votre destin, vous le trouverez".
Alain quitta le bistrot, alla chercher une lampe électrique dans sa voiture et pénétra dans le bois.
Les douze coups de minuit sonnaient au clocher voisin. L'obscurité était totale. La pluie commençait à tomber. La lampe électrique faiblit puis s'éteignit. Les ténèbres se réinstallèrent, moqueurs.
Complètement égaré et à bout de forces, Alain s'assit sur une vieille souche pour se reposer un instant. "Qu'est-ce que je suis venu faire ici ?" Se demandait-il.
C'est alors qu'il aperçut la lumière, là-bas dans le lointain. Ayant enfin un but, il se dirigea vers elle.
Petit à petit, la végétation environnante se modifiait. Il enjamba un chêne abattu. C'est alors qu'il vit la tour, au sommet d'une petite colline, derrière un cercle de pierres érigées. Trente-trois mètres de haut, sur une base carrée flanquée de tourelles aux quatre angles, faite de pierres grossièrement équarries couvertes de lierre. Ses sept étages étaient couronnés de l'ombre des quatre figures de l'Apocalypse: I'ange, le lion, le taureau et l'aigle.
Une fenêtre du troisième étage était éclairée.
Sans hésitation, Alain grimpa l'escalier géant jusqu'à l'énorme porte de bois. Sur un papier épinglé, on pouvait lire : "Entrez, je vous attends".
Un peu nerveux, il poussa la porte qui s'ouvrit en grinçant. Il entra dans le sanctuaire.
Le spectacle était fantasmagorique, au centre de la pièce un ange apocalyptique le fixait de ses quatre visages ; dans l'ombre un dragon de pierre monumental lui indiquait la route à suivre. Il monta l'escalier en colimaçon jusqu'au troisième étage et pénétra dans la pièce d'où provenait la lumière. Là, devant une cheminée ardente, entouré de trois grosses chandelles, se tenait le Maître de l'Arcane. C'était un vieil homme d'un âge indéfinissable qui aurait tout autant pu avoir cent ans que mille. Mais une jeunesse éternelle pétillait dans son regard.
"Asseyez-vous, ami" furent ses mots d'accueil.
Alain s'assit face à l'homme, au bout opposé d'une antique table en hêtre. Sur cette table était posé un vieux coffret.
"Dans cette boîte, dit le mage, se trouvent la question et la réponse. N'avez-vous pas peur d'ouvrir une porte qui ne pourra jamais être refermée ? Si c'est le cas, quittez les lieux et oubliez jusqu'à votre venue ici."
Malgré son angoisse, Alain répliqua qu'il voulait savoir. Les yeux du vieil homme étaient brûlants, il ressemblait de plus en plus à un ancien druide.
"Très bien, pour vous je vais arrêter le temps."
Il ouvrit le coffre et en sortit deux vieux jeux de cartes dont les tarots étaient différents.
"Dans le premier paquet, nous trouverons la question", ajouta-t-il tandis qu'il mélangeait les cartes. "Coupez le jeu avec la main gauche et complétez la coupe".
Cela fait, il commença à distribuer les cartes en demandant à Alain de l'arrêter quand il le voulait. Une vingtaine de cartes avait été distribuée quand Alain le stoppa sur le 9 de pique.
Le vieil homme ne manifesta aucune surprise.
"Cette carte sera la carte de la mort. La place qu'occupe sa jumelle dans l'autre jeu, ainsi que les trois autres 9, indiqueront le nombre d'heures, de jours, de mois et d'années qu'il vous reste à vivre. Mais attention, le compte s'arrêtera à la retourne du 9 de pique. Et alors, si c'est la première carte"
Il ramassa le deuxième paquet et commença à compter les cartes en les retournant face en l'air : "Une, deux, trois..." Sur le compte de 17, il retourna le 9 de cœur. "Une vie déjà bien remplie, et 17 heures de gagnées".
Il continu a: "18,19, 20..." et, à la 33e carte, le 9 de trèfle apparut. "Bravo, 33 jours supplémentaires. 34, 35, 36..." La 40e carte fut le 9 de carreau.
"La chance persiste: plus 40 mois, plus 33 jours, plus 17 heures. 41, 42, 43 ...cinquante et une". Le compte s'arrêta là, il manquait une carte : le 9 de pique.
Le vieil homme resta un instant immobile. Ses yeux jetèrent une lueur intriguée, puis il dit : "Après tout, peut-être êtes-vous immortel !"