Inv.SOD/bc-49148
L’Orbe des Rêveurs
Retrouvée à Malte le 4 octobre 2003
Origine anglaise vers 1880

 

Description :

Boule de Cristal montée sur un tripode en métal argenté dans un style typique du troisième quart du dix neuvième siècle, avec sa boîte en chêne. L’ensemble a une hauteur d’environ 25 cm. Le portrait photographique d’une jeune femme accompagne l’objet. Le Collectionneur y associe de manière indirecte un ancien couteau Catlin à deux tranchants (pour l’amputation) extrêmement affûté.

Dossier : Compte-rendu du Conservateur

Hôtel Resort Westin à Malte, le 04 octobre 2003.

Installé dans un confortable fauteuil du salon, je lisais tranquillement l’ouvrage « Gamblers, Grifters and Good Ol’Boys » de Bob Mason, lorsque le vieil homme vint s’asseoir près de moi. En pantalon gris anthracite et chemise blanche, il portait des boutons de manchette représentant un écu blanc et une croix rouge. Il posa à côté de lui un attaché case, une fine épée dans un fourreau et une boîte en carton qui semblait fort lourde. Certainement un dignitaire de l’Ordre de Malte…

Le vieil homme me fit un signe amical de la tête et, indiquant le bouquin, dit : « Je vois que le Collectionneur a toujours le même sens de l’humour… ». C’était mon contact.

« Comment va the Old Chap ? Il ne fait toujours pas son âge, je suppose ! »

« Mais bon, je radote, voilà la raison de votre présence ici ! » ajouta t’il en poussant vers moi la lourde boîte de carton. « Je suis content de ne plus avoir à transporter cette chose qui pèse le poids d’un cheval mort. »

« L’Orbe des Rêveurs* va rejoindre le Sanctuaire, après toutes ces années ! »

« L’Orbe des Rêveurs ? » répliquai-je. « Le Collectionneur ne m’a rien précisé au sujet de l’objet que vous devez me remettre. Ce qui est assez inhabituel de sa part. Pourriez-vous éclairer ma lanterne? Car il a insisté pour que je m’occupe personnellement de le ramener, mais sans être très loquace sur sa nature. »

Il eut un sourire : « Toujours son obsession du mystère, mais dans ce cas précis, je peux le comprendre… Je vais vous raconter l’histoire qui l’accompagne, du moins telle que ma grand-mère me l’a transmise, si ma pauvre mémoire ne me joue pas de tours ».

« Vers 1887, le Collectionneur, alors âgé d’une trentaine d’années et habitant Londres, fit la connaissance d’une jeune fille d’environ 10 ans sa cadette, dont le charme étrange le fascina immédiatement. Elle se nommait miss Gladys Osbourne. Elle présentait tous les signes d’une Sensitivité de haut niveau : fort magnétisme personnel, prémonitions et visions qu’elle ne contrôlait pas. Quoiqu’il ne l’avouera jamais, je pense qu’il en était amoureux. Il l’a prise sous son aile et, pour lui apprendre à maîtriser son don visionnaire, lui offrit une superbe boule en pur cristal, montée sur un trépied ; l’Orbe des Rêveurs. Vous savez comme moi que l’on nomme les Objets Magiques importants, comme on le faisait avec les épées au moyen âge. Les dimensions parfaites de la sphère avaient pour objet de placer un Sensitif dans un état de transe profonde et, par là même, d’amplifier son talent prophétique. Pour Gladys ce fut une révélation et elle se mit à entraîner ses capacités avec un rare acharnement. Comme « voyante », elle devint extraordinaire ».

« A la même époque, l’année suivante de leur rencontre, le mentor du Collectionneur, un ancien officier chirurgien de l’armée des Indes à la retraite anticipée, lui fit part de troubles du sommeil dont il souffrait. Cet homme, féru d’occultisme et de magies, avait affronté une créature mythique indienne, un Baïtal, dans un cimetière. Malheureusement, je ne peux pas être plus précis à ce sujet. Tout ce que je sais, c’est que la créature l’avait violemment mordu. Cet officier, franc maçon et initié aux rituels de la jeune Golden Dawn naissante, avait commencé par souffrir d’absences répétées et s’était retrouvé errant dans les rues des bas quartiers de Londres sans savoir comment il était arrivé là. Un jour, il s’était même réveillé couvert de sang, comme s’il avait eu un accident, mais ne souffrait d’aucune plaie. Inquiet, et ne pouvant s’adresser à la police il avait demandé de l’aide à son jeune apprenti. Le Collectionneur lui proposa de consulter Gladys et convint d’un rendez-vous. Je ne sais pas exactement ce qu’elle vit dans sa boule mais, après la consultation, elle se précipita chez le Collectionneur dans un état de panique totale. Dans son discours il était question de Jekyll et Hyde, comme dans le roman de Stevenson, et elle supplia le Collectionneur de la protéger et de l’aider à fuir le plus loin possible de la capitale anglaise. Le soir même, le Collectionneur la fit embarquer sur un bateau en partance pour l’Amérique du Sud. Avec un contact au Chili et une nouvelle identité.

Quelques jours plus tard, à la tombée de la nuit et sur un endroit isolé des docks de la Tamise, le Collectionneur rencontra son mentor. Il le reconnut à peine, tellement le délire déformait son visage. Ce dernier exigea qu’il lui dise où se trouvait Gladys et, devant le refus sortit une longue lame tranchante comme un rasoir et la plongea vers son disciple. Le Collectionneur fit feu une seule fois avec le pistolet qu’il tenait caché et abattit l’officier. Le corps de ce dernier fut discrètement coulé dans les eaux sombres de la Tamise. A partir de ce soir-là, personne n’entendit plus parler des meurtres de Whitechapel.

Le Collectionneur ne revit plus jamais la jeune fille qui se maria à Valparaiso avec un émigré anglais, mon grand père…

J’ai ajouté en cadeau un portrait d’elle, je pense que cela fera plaisir à notre ami commun. »

J’ai ramené l’Orbe et la photo au Surnatéum. Le Collectionneur les plaça avec une infinie délicatesse dans une armoire où reposait déjà une longue et fine lame tranchante comme un rasoir ; ferma la vitrine à clé et, pour la première fois depuis que je le connais, je le vis verser une larme silencieuse…

* En anglais « The Dreamers’ Orb » (note du Conservateur)

L’Ombre de Victor

Le texte assez sommaire qui suit est tiré d'une analyse de différents éléments tapis au sein du Surnatéum. Et d'une enquête approfondie...

Des Ombres hantent le musée…
Ce ne sont pas les vieux fantômes poussiéreux auxquels nous sommes habitués et avec lesquels nous pouvons traiter, mais plutôt autre chose. Une présence insidieuse qui s’accroche par lambeaux à certains objets, témoins d’évènements qu’il vaudrait peut-être mieux laisser dans l’oubli. Une d’entre elle m’obsède depuis quelques temps. J’ai retrouvé sa marque à plusieurs endroits dans les Collections : elle émane d’une vieille sacoche de médecin contenant un très affûté couteau de Catlin, de l’Orbe des Rêveurs ramené de Malte, du coffret de tueurs de vampires, de vieilles photos de soldats anglais de l’armée des Indes, un koutar à cinq lames… Toutes pièces d’un puzzle dont j’essaye de recomposer le tableau.
La présence a pour nom « Victor », c’est du moins comme cela que l’a appelé le vieil homme à Malte - quoique je ne sois pas certain qu’il s’agisse de sa véritable identité - elle me rappelle plutôt le docteur Frankenstein du roman éponyme.
Victor fut un de ses chasseurs obsessionnels de la fin du dix-neuvième siècle, digne émule d’ Alan Quatermain ou du Professeur Challenger, obsédé à l’idée de mettre la main sur une proie mythique, il affronta, dit-on, un baïtal dans un cimetière indien… Blessé par la créature, il fut démobilisé et renvoyé en Angleterre pour une retraite anticipée.
Victor possédait, tout comme son protégé – le Collectionneur – un don très inhabituel d’empathie ; cette curieuse capacité qu’ont certains Sensitifs à se placer dans la peau de l’autre et de ressentir leurs émotions. Pouvoir qui permet même à certains de contrôler le libre arbitre des plus faibles. Maîtriser ce don demande cependant un long entraînement et la possibilité de faire barrage à certaines intrusions.
Victor, franc-maçon de haut grade, rejoignit en 1888 la jeune Golden Dawn naissante, dans laquelle il introduisit son jeune disciple. Durant les deux premiers mois de l’été 1888, le médecin disparut aux confins de l’empire austro-hongrois pour traquer la plus mythique des créatures, le vampire. Quant il revint, il arborait fièrement un petit bijou de chasseur sertissant deux dents pointues…
Mais son comportement avait souffert de l’épreuve… Outre sa consommation excessive de viandes à peine cuites, il souffrait d’absences répétées pendant laquelle il marmonnait des phrases en Yiddish, langue qu’il ne parlait pas d’ordinaire.. Du moins, c’est ce qu’il laissait entendre à ceux qui lui posaient la question. On aurait dit que Jekyll et Hyde luttaient pour le contrôle de sa personnalité. Le Collectionneur envoya son mentor consulter une jeune voyante d’une vingtaine d’années (lady Gladys Osbourne) pour l’aider à résoudre ce problème. C’est là qu’elle découvrit dans le cristal de sa boule le nom d’ Aaron Kosminski, la trouble personnalité de ce coiffeur polonais émigré ; et l’horreur qui l’accompagnait. C’est également à ce moment qu’elle découvrit la véritable nature de Victor et son besoin obsessionnel de sang…
Le contrôle d’un être comme Kosminski permettait au médecin de commettre d’épouvantables crimes sans risquer le moins du monde de se faire prendre. Elle vit aussi, que si elle ne fuyait pas vite l’Angleterre, elle compterait bientôt au rang des victimes de l’éventreur.
Le Collectionneur organisa sa fuite vers l’Amérique du Sud et, le soir même affronta son mentor sur les docks. La balle de pistolet qui fit exploser la tête du monstre était en argent ; on n’est jamais trop prudent…
Les meurtres de Whitechapel attribués à Jack the Ripper s'arrêtèrent ce jour-là. Aaron Kosminski termina ses jours en asile psychiâtrique...